Quel défi aujourd’hui de s’alimenter! Surtout en famille. On nous offre le meilleur et le pire, côte à côte, sur les tablettes. Malheureusement, le pire est souvent plus attrayant parce que plus simple à préparer, plus rapide, plus efficace. Et quoi de plus valorisé aujourd’hui que l’efficacité! Dure réalité. Y penser me donne envie de me plonger dans « L’art presque perdu de ne rien faire » de Dany Laferrière. Prendre son temps, prendre le temps. Pour choisir ses ingrédients, les préparer, les partager en famille. Discuter. Faire un tour de table. C’est aujourd’hui tellement dure à caser entre les devoirs des enfants, le cours de karaté, le bain, l’histoire. « Allez hop, on mange vite; il faut partir dans cinq minutes! »
Comment fait-on pour concilier notre besoin et nos envies de bien manger, de se nourrir d’aliments entiers qui demandent à être préparés pour être mangés dans un contexte pareil? Tout un défi, je vous le dis. Et le temps n’est que la partie visible de l’iceberg. Sous l’eau se cachent les habitudes, l’attachement aux aliments sucrés et salés, le regard des amis à l’école, l’ouverture d’esprit des papilles gustatives. Méchant iceberg!
Peut-être que, comme à moi, il vous est déjà arrivé de manger un burger chez McDonald, vous êtes déjà tombé dans un sac de chips ou avec dégusté les différentes parties d’un Whippet avec délectation. Je ne suis pas née avec la détermination de bien m’alimenter. J’ai rapidement perdu la bataille contre le sucre durant l’enfance et contre les pâtes à l’adolescence. En fait, je ne crois jamais vraiment avoir eu conscience qu’il y avait une guerre en cour. Je n’étais pas encore connectée directement à mon système digestif à cet âge. C’est venu plus tard. Quand il s’est mis à crier. En alourdissant ma tête, en ralentissant mes circuits cognitifs, en tirant dans mon dos. Là, je me suis mise à écouter. Et j‘ai pris le temps. Détox du frigo, détox du garde-manger. On repart à neuf. C’était avant les enfants. Avant la vraie vie. Quand j’avais du temps. Je n’avais qu’à le prendre, il était là, sous mon nez.
Les enfants se sont multipliés et les heures se sont transformées en secondes. Les biscuits, repas surgelés, pâtes exprès ont refait surface. Wow, quelle commodité! J’ai gagné de précieuses minutes, mais perdu autre chose de bien plus important : le contrôle sur ma digestion, de ma tête, de mes humeurs. J’ai gagné du poids et des tensions au dos.
Alors j’ai fait la détox du frigo et du garde-manger. Une deuxième fois. Et les enfants ont hurlé. «C’est quoi ce truc vert? », me demandait ma fille avec un bel air de dégoût dans le visage. « Du kale, ma chérie. C’est super bon pour ta santé! » Cette fois, je me battais contre tous les voisins et amis de l’école qui mangeaient, eux, des « choses normales ». Contre l’océan autour du glacier.
On est même passés au cru. Toute la famille. Je l’ai fait personnellement quelques mois, mais j’ai dû recommencer à cuisiner pour mes enfants après trois semaines. C’était une question de survie familiale. Ma fille était prête à être adoptée par les voisins. Pogo, burger, pain blanc, spaghetti, Joe Louis, steak : le rêve. Les voisins avaient beaucoup à offrir. Les smooties verts qui tiraient sur le brun, les germinations, fermentation, déshydratation qui me faisaient tellement de bien rendaient mes enfants insupportables. Une crise après une autre. Repas après repas. Mes enfants souffraient parce que je les avais brusquement éloignés des aliments transformés qu’ils aimaient tant. Attachement. C’est fort. Alors, j’ai commencé à cuisiner en double. Un repas pour moi, un différent pour les autres. C’était comme au resto. Sauf que je n’ai jamais demandé à devenir chef. Et là, le temps, il me filait réellement entre les doigts. Je me suis ralliée à la famille. Encore une fois. J’ai souffert en silence. Jusqu’au jour où j’ai décidé que, peut-être, il était possible de concilier le tout. Peut-être que, si j’ajoute au lieu de couper, les enfants ne crieront pas. J’ai ajouté. Plus de légumes, de salades, de légumineuses, de fruits. Du vert et du rouge en quantité. J’ai fait plaisir à mes intestins délicats et à ma tête qui voyait que mes enfants prenaient plaisir, tranquillement, à ingérer de plus en plus d’aliments entiers, frais, crus. Magnifique!
Je les entends aujourd’hui raconter l’atrocité qui se trouvait dans la boîte à lunch du copain d’école, de leur amour pour les pois chiches. Ils me rappellent à l’ordre lorsque j’oublie leurs vitamines, comptent la quantité de protéines dans leur assiette, ne demandent pas systématiquement de dessert. Et vous savez quoi? Je prends le temps, même lorsque j’ai l’impression de ne pas en avoir. J’ai priorisé l’alimentation, y investis minutes et argent parce que je sais que c’est là une grande richesse et que toute la famille y gagnera, une feuille de kale à la fois.
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